Cet article fait parti d’un ensemble de publications de mon mémoire de recherche sur militantisme 2.0 et les réseaux sociaux politiques, écrit en 2010 lors de ma première année de Master.
Il y a beaucoup de français aujourd’hui qui n’ont pas envie d’entrer dans un parti politique mais un sujet leur tient à cœur (…) et pouvoir travailler ensemble avec d’autres, partout sur le territoire, échanger et contribuer à réaliser un projet, je crois que cela peut être tout à fait enthousiasmant (…)
Propos de Martine Aubry, Première secrétaire du Parti socialiste,
le 12 janvier 2010 lors de la présentation de La CooPol, à la presse
Le 4 novembre 2008, Barack Obama a été élu le 44ème Président des Etats-Unis d’Amérique après avoir réalisé une campagne particulièrement innovante. En effet, la stratégie de conquête de l’électorat de Barack Obama passait par la constitution d’un mouvement de mobilisation autour de son programme et de sa personne, à travers un moyen de communication moderne : Internet. Véritable poumon de la campagne, son utilisation a permis de coordonner toutes les actions engagées, en et hors ligne, et de permettre aux électeurs de s’investir dans le « changement » prôné par le candidat.
Cette stratégie a fait des émules en France : les partis politiques français ont envoyé des conseillers scruter le fonctionnement de la net-campagne du parti démocrate américain de l’intérieur afin d’y dégager des axes d’application en France. Le vaisseau amiral des démocrates était représenté par le site Internet BarackObama.com, à mi-chemin entre un réseau social, un outil de communication politique et une plateforme de dons pour financer la campagne du candidat.
Avec l’avènement des réseaux sociaux grand public comme Facebook ou Twitter, la stratégie du rassemblement des électeurs autour d’une personnalité et d’un programme a donné beaucoup de poids électoral à Barack Obama et lui a, sans doute, permis de devancer son opposant républicain dans les urnes.
Alors qu’Internet avait été utilisé pour la première fois comme un moyen de communication dans une élection pour les municipales de 2001, la France ne s’est cependant pas laissée distancer puisque Ségolène Royal et son équipe avaient perçu le potentiel que représentait Internet dans une stratégie de mobilisation de l’électorat pour les élections présidentielles de 2007. Ils avaient alors conçu Désirs d’avenir, une plateforme de démocratie participative, un des arguments choc de la candidate dans sa course à l’Elysée, qui avait valu des railleries de la part du camp adverse. Le camp adverse était lui aussi fortement mobilisé sur Internet avec un réseau de blogs, une web-TV, etc.
Avec aujourd’hui près de 16 millions d’inscrits sur Facebook, les français montrent leur intérêt pour ces nouveaux outils. Les partis politiques ont donc bien compris qu’un des terrains d’action pour gagner une élection passait en partie par une forte présence sur Internet. Ainsi, au début de l’année, les deux grands partis français, l’UMP et le Parti socialiste, ont mis en ligne Les Créateurs de Possibles[1] et La CooPol[2], leurs réseaux sociaux politique.
Les enjeux pour les partis politiques français sont clairement définis : il s’agit de préparer le terrain de 2012, fédérer les militants, les faire débattre sur des thèmes de campagne et les préparer à l’assaut des élections en les mobilisant en amont de l’échéance électorale. A une échelle plus proche, les élections régionales sont un terrain d’essai fabuleux pour les réseaux sociaux politiques dans la mesure où les partis immergent leurs outils dans un quotidien de campagne et de mobilisation des électeurs. En effet, les électeurs français semblent aujourd’hui perdre confiance en la politique comme moyen de résoudre leurs problèmes : selon une étude du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) réalisée à la fin de l’année 2009, « 67% des français n’ont confiance ni dans la droite ni dans la gauche pour gouverner le pays »[3]. Ce déclin dans la confiance en la politique et les hommes politiques semble se conforter depuis le référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe en 2005 où seuls 69,37% des français avaient pris part au vote[4]. Bien que les français aient repris un intérêt pour les enjeux électoraux avec les élections présidentielles de 2007 avec un taux de participation avoisinant les 84%[5], les élections législatives quelques semaines plus tard avaient vu voir son nombre d’électeurs mobilisé fondre comme neige au soleil avec moins de 60% de taux de participation[6] !
L’heure est donc à la mobilisation de l’électorat pour les partis politiques français qui font tout pour séduire et mobiliser leurs militants et sympathisants pour les futurs enjeux électoraux.
Trois grands thèmes couvrent le sujet : les réseaux sociaux, la communication politique et sa sociologie ainsi que les pratiques du militantisme. L’état de la question parait aujourd’hui peu étudié sur certains aspects, notamment tout ce qui concerne la pratique du militantisme sur Internet. En effet, les scientifiques français se sont assez peu intéressé à cette question et la manière dont ce nouvel usage peut découler sur la mobilisation de l’électorat. Quelques ouvrages ont étudié les pratiques des partis politiques sur Internet lors des campagnes électorales, la manière dont ils communiquent sur Internet avec leurs militants et leurs électeurs, le rôle que tient Internet dans une campagne et l’évolution des usages depuis les élections municipales de 2001, etc.[7] Il a notamment été étudié la manière dont les internautes parlent politique en ligne, sur les espaces d’expression des partis eux-mêmes ou à l’intérieur de communautés regroupées sur des thèmes autres que la politique ainsi que le parallèle aux conversations qui se produisent dans la « vrai vie »[8].
Les réseaux sociaux politiques, de part leur nouveauté, n’ont également pas fait l’objet d’étude en France, contrairement aux Etats-Unis, du fait des nouveaux usages introduits avec la campagne de Barack Obama. La majorité des ouvrages ciblent les réseaux sociaux généralistes pour comprendre l’engouement et l’intérêt que les utilisateurs ont à les utiliser, à tout âge et à tous les niveaux de la société[9]. Les pratiques sur les réseaux sociaux, la remise en question de la sphère de la vie privée, les manières d’intervenir avec ses « amis » sont aussi des terrains de recherche pratiqués[10].
La communication politique en ligne est un sujet principalement traité dans le cadre d’une campagne électorale, via l’analyse des sites Internet des candidats et l’importance qu’ils prennent dans les stratégies de communication mises en place. Il est également question des règles de parole politique en ligne pour les partis, de leurs stratégies de communication, des usages qu’ils ont, de l’importance des images, des textes forts et de symboles qui rendent la communication politique différente qu’elle soit sur Internet ou dans des médias traditionnels[11].
Cette recherche portera sur l’observation des réseaux sociaux politiques. Il s’agira de repérer et constater les similitudes entre les réseaux sociaux généralistes et les réseaux sociaux politiques : la manière dont ils sont construits, les codes qu’ils reprennent et les points sur lequel ils se séparent. On étudiera également l’intérêt que les usagers ont des réseaux sociaux politiques, l’utilité qu’ils ont de s’y inscrire, les usages qui en découlent, la manière dont ils s’approprient les outils, leurs différences de comportement vis à vis des réseaux sociaux généralistes, etc. La technique de l’observation participante sera notamment utilisée.
Comme l’UMP et le Parti socialiste ont pensé et construit leurs réseaux de manière différente, on étudiera les similitudes et les divergences et l’on essaiera de comprendre les raisons de celles-ci dans la stratégie Internet des partis et la vision que ces derniers ont de leurs outils. On constatera également les éventuelles évolutions que les partis comptent mettre en place sur leurs réseaux après les élections régionales. En effet, ces dernières auront permis de roder les outils en vue de l’élection Présidentielle de 2012 et donc de dégager les points forts et les points faibles.
Pour poser le contexte et tenter de comprendre le désintérêt croissant des français pour la politique, nous dresserons un état de la politique en France : nous verrons quels sont les différents partis, leur représentation dans les institutions politiques et l’évolution du paysage politique ces dernières années. Nous aborderons également la question du taux de participation et sa tendance à se réduire pour les enjeux plus « secondaires » dans la tête des français et les difficultés de mobilisation des électeurs par les partis politiques : paradoxalement, malgré le fait qu’ils considèrent les hommes politiques comme déconnectés de leurs réalités, les français votent généralement moins pour les enjeux locaux, là où les politiques sont, par définition, plus proches d’eux et de leur vie quotidienne. De plus, nous verrons que le système politique institutionnel français qui centralise le pouvoir à l’Elysée peut justifier ce sentiment. Par lien de corrélation, nous tenterons de comprendre pourquoi les français sont de plus en plus méfiants envers les médias et les journalistes, qu’ils considèrent comme trop proches du pouvoir.
Pour comprendre les usages d’Internet en politique, nous dresserons un historique de son utilisation dans les enjeux électoraux : de ses débuts discrets pour les élections municipales de 2001, à sa fulgurante ascension contestataire pour le référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe en 2005 et le plus qu’il a apporté en 2007 pour la campagne présidentielle. Nous verrons également en quoi Internet bouleverse la politique, en corrigeant ce que les médias dominants ne disent pas à travers des vidéos, des blogs ou des médias citoyens.
Si les réseaux sociaux politiques sont aujourd’hui vu comme un moyen de mobiliser l’électorat, c’est parce que les partis politiques français ont pris exemple sur la campagne de Barack Obama, « la meilleure campagne jamais menée » selon ses propres mots. Nous verrons donc avec quels moyens il a su redonner un souffle à la politique américaine à travers Internet et une « formule magique » qui combinait un message, les nouvelles technologies et une organisation militante. Nous expliquerons ensuite les différences fondamentales entre la politique française et la politique américaine qui rendent les enjeux différents.
Enfin, pour savoir si les réseaux sociaux politiques sont une véritable arme pour remobiliser l’électorat en vue de l’élection présidentielle de 2012, nous verrons si le modèle de la campagne Obama peut inspirer les partis politiques français. Puis nous définirons ce qu’est un réseau social et tenterons de comprendre les raisons du succès de ce modèle. Nous présenterons le réseau social politique de l’UMP, Les Créateurs de Possibles, et celui du Parti socialiste, La CooPol : nous expliquerons les enjeux, le contexte de lancement, le mode de communication utilisé par les partis puis nous analyserons les usages de ces réseaux, notamment via l’exemple de la campagne pour les élections régionales de mars dernier. A travers une étude comparative des deux sites, nous tenterons de discerner les stratégies des partis et la manière dont ils peuvent se servir de la démocratie participative pour enrichir leurs programmes électoraux et entrainer un phénomène dit de « bottom-up », où l’origine de l’action va des électeurs vers les hommes politiques.
[1] Les Créateurs de Possibles, réseau social politique de l’UMP
http://www.lescreateursdepossibles.com
[2] La CooPol, réseau social politique du Parti socialiste
http://www.lacoopol.fr
[3] Etude sur Tns-sofres.com, « Baromètre de la confiance politique », décembre 2009
[4] Résultats du référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe en 2005, Site officiel du Ministère de l’Intérieur, 29 mai 2005
http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_votre_service/resultats-elections/rf2005/000/000.html
[5] Résultats des élections présidentielles de mai 2007, Site officiel du Ministère de l’Intérieur, 6 mai 2007
http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_votre_service/resultats-elections/PR2007/FE.html
[6] Résultats des élections législatives de juin 2007, Site officiel du Ministère de l’Intérieur, 17 juin 2007
http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_votre_service/resultats-elections/LG2007/FE.html
[7] Ethuin Nathalie et Lefebvre Rémi, « Les balbutiements de la cyberdémocratie électorale » In Serfaty Viviane, L’Internet en politique des Etats-Unis à l’Europe, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2002, pp. 155 – 177
[8] Lefebvre Axel, « Espace public et technologies de l’information : le cas du courrier électronique et du forum de discussion » In Serfaty Viviane, L’Internet en politique des Etats-Unis à l’Europe, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2002, pp. 377 – 397
[9] Testut Tina, Facebook et moi et moi et moi, Paris, Hoëbeke, 2009, 189 p.
[10] Fayon David, Web 2.0 et au-delà, nouveaux internautes : du surfeur à l’acteur, Paris, Economica, 2008, 204 p.
[11] Gerstle Jacques, La communication politique, Paris, Armand Colin, 2008, 255 p.